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Yohann Agrebbe

Programmeur Unix/C++ en freelance

Blog

Outlook est fait pour les personnes désordonnées

(modifié 1 fois)

Si vous aimez organiser les choses et avoir une bonne représentation mentale de votre travail, alors vous avez sûrement créé des petits répertoires dans le volet gauche de votre client de messagerie en vue d'y ranger vos emails. Ceci vous permet de vous y retrouver efficacement, mais si vous utilisez le très célèbre Outlook, alors vous risquez de rater des notifications, car le logiciel part du principe que vous ne savez pas ranger.

Il se trouve que la nébuleuse de progiciels développés par Microsoft propose un système complet de planification de réunions, qui passe par des invitations sous forme d'email. Soyons francs, la fonctionnalité est conceptuellement bonne, d'autant plus qu'elle semble se baser sur la spécification ouverte « iCalendar », ce qui laisse entrevoir quelques chances d'interopérabilité avec d'autres technologies. Mais à l'instar de nombreuses applications contemporaines, c'est la petite subtilité ergonomique qui blesse : Si l'organisateur d'une réunion décide d'en modifier la date et de renvoyer de nouveaux emails d'invitation, Outlook entreprend de nettoyer silencieusement la boîte aux lettres des participants en déplaçant les invitations précédentes dans les courriers supprimés. Et ça, c'est une façon de faire rater l'information à certaines personnes !

Voici un cas réel fraîchement survenu. Ceci est un compte Outlook fourni par une entreprise pour permettre des échanges directs avec ses salariés, le dernier message reçu est une invitation à une réunion, déjà lue par le destinataire et notée soigneusement sur son bon vieux calendrier au format papier :

Avant

Quelques heures plus tard, l'organisateur de la réunion a reporté l'événement à la semaine suivante et déclenché l'envoi d'un nouvel email d'invitation ayant exactement le même intitulé. Sur un client de messagerie classique la ligne du haut donnerait l'impression de se dédoubler, la présence d'un deuxième message rectifiant le premier irait alors de soi. Mais avec Outlook l'email précédent se retire automatiquement, ce qui revient visuellement à le remplacer par son successeur, laissant comme seuls indicateurs du changement la mise en gras du titre pour représenter un statut non lu, ainsi que l'heure d'arrivée devenue plus récente :

Après

Évidemment, dans le cas présenté ici le report de date n'a pas été remarqué, l'hurluberlu invité s'est donc retrouvé en réunion seul avec lui-même au cours de la plage horaire annulée.

Ce comportement d'Outlook est trompeur à bien des égards : Soupçonner le logiciel de faire disparaître des entrées de la liste par sa propre initiative n'a rien de naturel, et nul ne vérifie en continu si les horaires des courriers reçus semblent se modifier par magie. Quant au changement de mise en forme, la pollution visuelle de nos supports numériques au quotidien par des publicités tapageuses nous habitue à ignorer les couleurs et tailles de police, afin de nous concentrer uniquement sur le texte brut. (Note : Il n'est pas impossible que l'utilisation massive de terminaux de commandes conjuguée à la lecture régulière de spécifications techniques accentue cette approche textuelle des contenus)

Par conséquent, les non habitués ont toutes les raisons de confondre un message correctif avec l'original, et ce, même en remarquant son retour en gras… parce qu'il n'est pas plus évident d'imaginer un nettoyage automatique que de supposer machinalement un petit bug de synchronisation avec le serveur, ou bien un raccourci clavier déclenché par inadvertance pour restaurer le statut non lu. Hé oui, à vouloir rendre les logiciels trop intelligents, leur fonctionnement devient parfois contre-intuitif. Ceux qui embrassent le « KISS » ne le répéteront jamais assez, l'être humain a besoin d'outils simples, obéïssants, et non pas de machines hantées prenant des décisions à sa place.

Ceci est encore plus vrai pour les personnes ordonnées qui auront tendance à ignorer le statut lu ou non lu des éléments situés dans leur boîte de réception. Pour elles, tant qu'un email s'y trouve, c'est qu'une opération reste à faire. Peu importe son statut, il devra de toute façon être rangé une fois traité. Et même celles allant jusqu'à pratiquer une chasse maniaque aux intitulés en gras risqueraient de survoler trop rapidement un message de rectification, puisqu'elles penseraient l'avoir déjà lu.

En revanche pour d'autres utilisateurs moins organisés, qui laissent leur courrier entrant s'entasser au fil des mois et des années, la disparition automatique des messages caduques peut devenir un avantage, car elle élimine le risque de lire la mauvaise ligne au milieu d'un fatras initelligible. En y réfléchissant bien, il s'agit là du seul cas d'usage dans lequel la balance bénéfice/risque penche du bon côté. Mais au fait, est-ce que les concepteurs d'Outlook ont remarqué que leur produit favorise les personnes désordonnées ? Quelque soit la réponse à cette question, elle ne peut qu'être éminemment divertissante.